Nous avons toujours des objets qui frappent nos yeux ou nos oreilles

, et par conséquent l'âme en est touchée aussi sans que nous y prenions garde : parce que notre attention est bandée à d'autres objets, jusqu'à ce que l'objet d evienne assez fort pour l'attirer à soi en redoublant son action ou par quelque autre raison ; c'était comme un sommeil particulier à l'égard de cet objet-là, et ce sommeil devient général lorsque notre attention cesse à l'égard de tous les objets ensemble. [...]
Toutes les impressions ont leur effet, mais tous les effets ne sont pas toujours notables : quand je me tourne d'un côté plutôt que d'un autre c'est bien souvent par un enchaînement de petites impressions dont je ne m'aperçois pas, et qui rendent un mouvement un peu plus mala isé que l'autre.

Toutes nos actions délibérées sont des résultats d'un concours de petites perceptions, et même nos coutumes et passions, qui ont tant d'influence dans nos délibérations, en viennent ; car ces habitudes naissent peu à peu, et par conséquent, sans les petites perceptions, on ne viendrait pas à ces dispositions notables. [...] En un mot, c'est une grande source d'erreurs de croire qu'il n'y a aucune perception dans l'âm e que celles dont on s'aperçoit.

Leibniz, Nouveaux Essais sur l'entendement humain